CARÊME 4 A

« Je me suis lavé ; alors j’ai vu. »

(Jean 9, 1-41)

Arrivé à la mi-carême, on se remet en question sur ses pratiques et ses désirs de conversion. Les bonnes résolutions du début de carême ont peut-être été oubliées ou ‘réaménagées’ en fonction de nos possibilités réelles et de nos convictions profondes. Il reste que le jeûne, la prière et l’aumône sont des balises sûres sur notre chemin vers Pâques et une orientation certaine vers la plénitude de la Révélation pascale. On a certes besoin de revenir à Dieu, de se convertir, de changer sa vie pour s’approcher le plus possible de la vie du Christ, de l’amour du Père et des dons de l’Esprit Saint. Le carême, chemin de grâce, nous mène vers l’accueil de la lumière véritable en illuminant notre être de ces feux et en y insérant la vérité et l’amour. On grandit dans la vérité et l’amour. On s’épanouit dans la vérité et l’amour. Seuls la vérité et l’amour peuvent nous rapprocher du mystère trinitaire et nous y faire participer pleinement. Il faut donc accepter l’initiation qui porte à l’illumination et ainsi à la plénitude de l’amour trinitaire. L’épisode évangélique de l’Aveugle-né en est un bel exemple.

  1. 1. Le carême : la purification.

Le chapitre 9 de St Jean concerne l’Aveugle-né. Il suit le chapitre 7 dans lequel Jésus se proclame Lumière du monde et le chapitre 8 dans lequel il affirme : « Avant qu’Abraham ne fut, JE SUIS ». Pleine révélation de la lumière du Nom de Dieu incarné en Jésus-Christ et sauvant le monde pécheur de sa perte. Pleine réalisation des promesses de salut et de communion. Jésus le Messie est le Fils, pleinement Homme et pleinement Dieu, qui donne la lumière divine et, par elle, la vie éternelle. Encore faut-il s’ouvrir à sa présence et accepter d’être aimé !

« Je suis allé » : sur la parole de Jésus et en confiance, il nous faut nous déplacer. « Va », c’est le mot d’ordre donné à Abraham et à Moïse. C’est le mot d’amour qui mène Elie à l’Horeb. C’est le mot qui lance les prophètes sur les chemins. C’est le mot du Christ ! C’est un mot qui résonne en nos cœurs comme une invitation à l’aventure, au déplacement intérieur, au pèlerinage… S’arrêter, c’est mourir. S’enraciner, c’est déjà repartir. Jésus invite l’aveugle à faire sa part dans le miracle qui deviendra bientôt un « signe », c’est-à-dire une manifestation divine. Si le miracle rapporte la matérialité des choses (d’un état à un autre), le signe nous parle de Dieu (d’un état à une Présence). Le miracle procure de l’admiration. Le signe donne la foi. Toute la conversation de l’aveugle avec les gens bien crédules ou avec les pharisiens trop obtus le montre bien. L’aveugle lui-même ne se réjouit pas immédiatement du miracle : il devra ‘revoir’ Jésus pour enfin voir vraiment !

« Je me suis lavé » : comment interpréter cette parole ? S’agit-il d’un simple lavement guérissant ou d’un geste prophétiques dont les prophètes ont le secret ? S’agit-il d’un geste symbolique qui passe de la chair à l’âme ? Jésus invite à la purification extérieure et intérieure. L’aveugle se lave les yeux mais son âme s’en ressent, il touche ses yeux guéris et son âme voit soudainement. Il y a bien des purifications à opérer en nous, bien des zones d’ombres à laver, bien des jardins secrets à arroser de la grâce miséricordieuse. Les apparences sont trompeuses mais le cœur est vigilant. Notre vie est un long va-et-vient entre l’extériorité et l’intériorité, entre le corps et l’âme, entre la grâce et le péché. La purification est une entrée de la grâce dans les recoins de nos vies et les blocages de l’existence. Purification du péché qui nous a éloignés des sources de la vie ; purification des pensées qui nous mènent vers des voies sans issues ; purification du corps qui a besoin du baume céleste ;  purification de la mémoire qui s’enferme dans le passé ; purification de nos faiblesses pour qu’elles deviennent elles-aussi chemins vers Dieu …

« J’ai vu » : l’étape finale est une vision nouvelle, une attitude nouvelle, un ‘voir’ qui voit enfin l’essentiel et la vérité présente. Combien de fois l’aveugle répète cette formule : « j’ai vu » et combien de fois on lui pose la question : « comment cela s’est fait ? ». L’aveugle se fixe sur le regard, ses interlocuteurs se fixent sur le comment. Personne ne comprend le pourquoi ou le signe divin en acte ici. Finalement, n’est-ce pas le plus important ? Comme Bartimée (Marc 10, 46-52), l’autre aveugle de l’Évangile qui répond à Jésus : « Rabbouni, que je voie ! ». Voir quoi ? Le monde visible ou le monde invisible ? La beauté de la création ou la beauté divine ? Les couleurs du monde ou les couleurs de la vie ? Peut-être les deux ou l’un portant à l’autre, ou l’un dirigeant vers l’autre. En effet, c’est ce monde d’ici et pas un autre, trop imaginaire, qui nous fera ‘voir’ le monde d’ailleurs ! Ce monde d’ici porte au monde d’ailleurs : c’est le chemin de l’Incarnation illuminé par la Résurrection !

  1. 2. Le carême : l’illumination.

Voici notre carême : une purification qui donne l’illumination. Au-delà de l’humour sous-jacent employé par St Jean, l’Évangile de l’Aveugle-né est une ‘parabole baptismale’, une initiation qui mène à la vraie lumière, une progression dans les choses de la foi, une plongée dans le mystère. L’aveugle ne se contente pas de la vue, il veut voir le Fils de l’Homme et comble de l’étonnement, il se prosterne devant lui. Il reconnaît la présence divine en lui. Il adore le Christ. Ce geste est certainement la conclusion la plus forte de cette histoire même si Jean met en évidence la malhonnêteté ou l’orgueil des uns et des autres.

Voir l’essentiel : l’aveugle est celui qui ne veut pas voir l’évidence, les gestes divins, les signes de présence. Dieu parle par bien des choses. Est aveugle celui qui s’enferme dans ses idées, ses illusions ses opinions, son péché. Est aveugle celui qui refuse de voir. Le vrai aveugle n’est pas celui qu’on croit. Voir, c’est recevoir, c’est percevoir, c’est entrevoir. Voir, c’est ouvrir les yeux du cœur, les yeux de l’âme, les voies du Ciel. Au-delà des choses, une Présence se perçoit et cette Présence est amour et miséricorde.

Voir Dieu : l’aveugle ne se trompe pas. Il veut plus qu’un miracle, il veut un signe et ce signe lui est donné. Il veut voir. Il voit Jésus. Il ouvre ses yeux sur la vérité, sur la beauté, sur la lumière. Le Christ est la Beauté, la Vérité et la Lumière. Le contempler, c’est voir Dieu, c’est entrer dans le monde divin. L’adorer, c’est adorer le Père dans l’Esprit. L’aimer, c’est communier à l’amour trinitaire. L’accueillir dans son être, c’est entrer dans le Cœur de la Trinité et y rester. « Je crois Seigneur ! »

  1. 3. Conclusion : la foi qui aime.

L’aveugle cherchait la vue, il a vu le mystère. Il cherchait un miracle, il a reçu un signe. Il cherchait le prophète Jésus, il a vu le Fils de l’Homme. Il cherchait à voir le monde, il a vu Dieu.

L’aveugle voulait la vue, il a reçu la foi. Il voulait se réjouir du miracle, il a compris le signe. Il voulait une vie normale, il a trouvé la vérité. Il voulait regarder le monde, il a vu l’invisible et touché l’amour.

Notre carême est purification pour trouver l’illumination. La seule Lumière, c’est le Christ. Il est la Lumière venant du Père et jaillissant dans la grâce de l’Esprit. Beauté trinitaire dans nos vies.

Père Francis

 

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