VENDREDI SAINT

« Celui qui a vu rend témoignage afin que vous croyiez vous-aussi»

(Jean 18, 1-40. 19, 1-42)

La nuit à Gethsémani a été une rude épreuve pour Jésus. Nuit d’angoisse et d’attente, nuit de solitude et de peur. Le voici  livré à ceux qui veulent le faire périr, qui feront tout pour qu’il se taise enfin et qu’il meure. Ce rejet est profond comme le péché est profond. Il touche le choix fondamental comme aussi la relation à dieu. Il s’illusionne de servir Dieu alors qu’il détruit l’homme. Il s’enténèbre en croyant servir la lumière. Il condamne en pensant sauver la Loi. Il y a comme un profond malaise, peut-être un malentendu, une erreur quelque part. Et pourtant, les faits sont là, Jésus est condamné pour blasphème et agitation politique. Blasphème car homme, il se présente comme Fils de Dieu, initiateur d’une nouvelle vision de l’Alliance, d’un culte sincère, d’une possible communion avec Dieu. Agitateur car la vérité éclate, la justice est demandée, l’éthique est réclamée. Agitateur de la conscience et promoteur de la liberté, défenseur de l’égalité et serviteur du Très Haut. Le Vendredi Saint est un jour de drame, celui qui met en évidence les compromis et qui fait éclater le péché. Seul l’amour peut passer à travers ce drame dans lequel Dieu s’implique et l’homme se révèle.

  1. 1. Le drame humain.

Jésus est un homme. Il passera à travers l’épreuve avec tout ce qui fait de lui un homme. Il ne fait pas semblant, il entre véritablement en agonie, il souffre en vérité, il est meurtri jusqu’au plus profond de son être. Le drame humain vécu par Jésus est un chemin qui portera au drame divin qui se joue au Ciel et sur la Terre. Le combat de Jésus est d’abord intérieur.

Abandonné : cet aspect psychologique est important dans le drame. Alors qu’il a cheminé avec ses disciples, qu’il a formé les apôtres, qu’il a créé son réseau de relation et d’amitié, il se retrouve seul en face de ses juges, religieux ou civils. Même l’ami Pierre, le jeune Jean, le fougueux Thomas ont disparu ou semblent bien loin. L’amitié a-t-elle été bafouée ? L’intimité a-t-elle été une illusion ? La solitude est pesante en ce moment particulièrement délicat de sa vie. Au cachot comme le Baptiste et personne pour le rassurer, lui tendre la main ! Quelques femmes seront sur son chemin de croix et l’assisteront de leurs larmes et de leurs pleurs.

Torturé : cet aspect physique est important dans le drame. Le Verbe incarné, le Fils fait chair et partageant notre condition humaine…  toute cette réalité nouvelle pour le Fils qui a appris à être un homme, voici qu’elle lui revient en plein réalisme et jusqu’au extrême. Douleur physique qui prendra son paradigme en croix mais tortures infligées qui découragent de la nature humaine, qui insinuent l’injustice, qui avancent la férocité des hommes, qui dévoilent le mal caché en nous et prêt à rejaillir au moment opportun. Le Fils souffre vraiment car son Incarnation est véritable. La chair qu’il a sanctifiée devient cette chape de plomb qui lui pèse à ce moment.

Crucifié : cette façon ignoble de mourir est important dans le drame. La crucifixion est une insulte à la nature humaine, une humiliation sociale, un rejet religieux, une exposition honteuse. Elle suffoque le crucifié à petit feu et l’étouffe à la longue. Elle ne lui laisse aucune chance de répit et encore moins de rédemption. « Maudit soit celui qui est suspendu »  répète la norme religieuse. C’est pourtant nos péchés qu’il porte mais qui le sait à ce moment-là ? Jésus angoisse devant la croix, verse son sang en l’embrassant, expie nos fautes en y mourant. La croix, ignoble instrument de torture, devient  signe de vie et de pardon, chemin vers le « paradis » pour celui qui se tourne vers Jésus.

Jésus a vécu sa passion et sa mort avec toute la dramatique d’un homme abandonné, torturé et crucifié. Il vit ce moment comme un échec, un rejet social et religieux, une tare, un drame. Ses larmes et son sang en font foi. Sa souffrance physique rejoint la souffrance de son âme, le questionnement de sa mission, l’interrogation de sa relation au Père.

  1. 2. Le drame divin.

Jésus est Dieu. Son drame humain se superpose au drame divin qui se joue en lui. Si la douleur physique, affective et psychologique parle d’elle-même, il est permis de descendre dans l’âme de Jésus et d’y voir que plus profondément encore le drame se situe à un niveau divin. Le drame a une dimension cosmique et théologique. Il concerne une relation éternelle, un amour de toujours, un lien vital. Le Fils ne peut vivre sans le Père, l’Esprit est le lien d’amour du Père et du Fils. La croix peut-elle remettre en cause cela ? Le Père, lui-aussi, peut-il abandonné son Fils ? L’Esprit est-il indifférent à cette situation inusitée et dramatique ?

Le Père aime le Fils en croix : Dieu n’abandonne pas son Fils. Il l’entoure d’attention mais le drame de la croix manifeste  une relation bien loin de nos critères. Jésus homme ne peut concevoir cette distance que comme un abandon. Jésus Dieu ne peut se passer de cette relation sous peine de disparaître, de se dissoudre, de briser l’unité trinitaire… Tout cela devait résonner dans le cœur de Jésus. La crucifixion a laissé penser à un Père injuste, réclamant ses droits de Créateur, demandant un sacrifice comme réparation aux offenses subies. Mais il n’en est rien. Il fallait que le Christ souffrît pour que l’amour se révélât dans toute sa grandeur et sa beauté. Le Père entoure le Fils d’un amour éternel qui se manifeste jusqu’à la croix et non envers la croix ou contre la croix.

Le Fils aime le Père au-delà du drame : le drame intérieur de Jésus est profond. Il se sent loin du Père et recherche sa présence. Reviennent les tentations du désert et peut-être le sentiment d’avoir été vaincu, d’avoir raté sa mission. Le tréfonds de l’être du Fils est d’être en relation d’amour avec le Père. A la croix, il y a comme un moment suspendu dans lequel le Fils se méconnaît comme Fils, s’abandonne au Père qu’il ne sent que comme un souffle tenu. C’est cet amour éternel pourtant qui sauvera le Fils du désespoir pour le maintenir dans la Présence. Le drame de la croix est vraiment un drame trinitaire car toute la Trinité est présente, toutes les relations entre les Personnes Divines se recomposent avec plus de force.

  1. 3. Conclusion : quand le trône est une croix !

Le drame vécu par Jésus est un drame humain sans précédent. Un innocent est condamné et meurt. Toute l’humanité se retrouve impliquée dans cet événement qui met en lumière nos faiblesses et notre péché.

Jésus homme et Dieu est l’Agneau pascal qui donne sa vie et meurt pour le salut de l’humanité.

Le drame humain se juxtapose au drame divin. Le Fils envoyé par le Père, incarné dans notre chair, annonçant le Royaume, proposant l’amour se retrouve rejeté et bafoué. Sa mission subit comme un échec. Son identité subit une contestation. Son lien au Père est remis en cause. Jésus est au tournant de sa relation vitale avec le Père dans l’Esprit. Le drame humain devient divin.

Père Francis

 

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