« Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon »
(Marc 10, 35-45)
On imagine assez facilement les intentions non avouables qui animent les disciples de Jésus. Plusieurs fois, dans l’Évangile, on rencontre leurs demandes et leur espérance. Si Jésus est le Messie et que le Messie doit prendre le pouvoir, écraser les ennemis de Dieu et rétablir la royauté en Israël, alors ses disciples auront une place privilégiée à ses côtés. Ils pourront dominer en son nom et prendre les moyens pour imposer ce nouveau régime théocratique. La requête de Jacques et de Jean va dans ce sens. Pour eux, la messianité de Jésus est toute terrestre avec des relents célestes. On comprend qu’ils se trompent complètement car le Christ ne s’engage pas dans ce sens. Il vient au nom de Dieu, certes. Il est le Messie, certes. Il vient annoncer et établir le Royaume de Dieu, certes. Mais cette mission est toute spirituelle et touche les cœurs. Le Royaume de Dieu doit s’établir dans les cœurs avant de conquérir le pouvoir politique et construire la Cité de Dieu sur terre. Il vaut viser la Jérusalem céleste, dont la Jérusalem terrestre est la piètre image.
- 1. Le Serviteur de Dieu.
Jésus est venu pour servir et non pour être servi. Cette affirmation est claire et capitale. Elle va colorer toute son œuvre et donner sens à sa mission rédemptrice. Il veut sauver les hommes mais pas sans eux. Il veut bâtir le Royaume mais pas contre eux. Cette mission passera donc par le service, la souffrance, le sacrifice. Elle conduira le Christ à la croix pour resplendir de vérité au matin de Pâques. Dieu agira de façon pédagogique pour exprimer sa volonté.
Le Messie serviteur : on attend le Messie et on espère qu’il redonnera ses droits à Dieu. Le Messie doit parler en son nom et agir pour que la vérité et la lumière apparaissent. En Jésus, Dieu parle. Sa Parole est vérité éternelle. En Jésus, Dieu retrouve sa place, pardonne et sauve. Son Salut est pour tous. En Jésus, Dieu donne sa lumière. Sa Lumière éclaire les ténèbres de nos vies et met en évidence nos compromis douteux et nos intentions cachées. C’est par le service que le Messie va montrer la puissance de Dieu et sa volonté. En se mettant au service du Peuple de Dieu, il porte ce Peuple vers l’intériorité et la communion. Le service est le chemin de l’amour.
Le Serviteur souffrant : le Messie donne sa vie pour la cause de Dieu et son honneur. Il ne fait pas violence ni n’impose l’amour de Dieu aux hommes. Ses souffrances sont les signes de notre péché et de nos mauvaises intentions. Quand la pureté rencontre le mal et l’égoïsme, le clash est inévitable. Quand la douceur rencontre la violence, le victorieux n’est pas toujours celui qu’on croit. Par ses souffrances, le Messie est allé jusqu’au bout de l’obéissance qui donnera le salut aux hommes. Il doit malheureusement souffrir pour porter le mal et la mort. Il doit malheureusement mourir pour montrer la grandeur de la vérité et du don de soi dans l’amour. Il peut heureusement démontrer la profondeur du lien entre Dieu et l’humanité et la possibilité de la communion.
Le Crucifié ressuscité : le Messie ira jusqu’au bout de l’amour car Dieu est amour. Sa volonté et son œuvre ne sont qu’amour. On peut être scandalisé en voyant le Messie crucifié et même questionné Dieu en cela. On doit plutôt être scandalisé de la bêtise et du péché de l’homme qui s’expriment à la Croix. La vérité éclate enfin et met en lumière la perversité de l’un et la grandeur de l’Autre. La Croix est le moment de vérité qui dévoile l’identité du Christ et la volonté du Père dans le Souffle de l’Esprit Saint. Alors qu’on peut se lamenter devant le Christ crucifié, on doit avant tout contempler l’amour de Dieu qui va jusqu’au bout de soi. C’est pourquoi, la Croix est considérée comme le trône du Messie, comme le lieu de sa glorification. La croix d’infamie devient la Croix glorieuse. On reste sans voix devant ce mystère car c’est par le service que le Christ a démontré sa divinité, c’est en devenant « esclave du bois » qu’il révèle la bonté de Dieu, c’est en se laissant crucifier qu’il dit l’amour trinitaire.
Le Christ est le Serviteur. Messie, il l’est car il est envoyé. Souffrant, il l’accepte car c’est la voie rédemptrice. Crucifié, il ressuscite pour faire éclater la vie et l’amour. En se faisant le plus petit, Jésus révèle la grandeur de Dieu et ouvre les secrets de l’identité divine.
- 2. Les serviteurs de Dieu.
Si le Maître a agi de la sorte, qu’en est-il des disciples ? Nous n’avons pas à sauver le monde, il l’est par le Christ. Nous n’avons pas à porter la souffrance du monde, elle l’est par le Christ. Mais, unis au Christ en sa mort et Résurrection, nous partageons l’œuvre de salut et la souffrance des autres. Notre service rejoint alors celui du Christ.
Boire à la coupe : avons-nous besoin de rechercher la souffrance ? Non, elle vient d’elle-même mais nous pouvons la vivre en communion avec le Christ. Il porte la souffrance. Nous partageons sa souffrance par un service désintéressé et véridique.
Baptisés de son baptême : avons-nous besoin de sauver le monde ? Non, il l’est déjà mais nous pouvons participer à cette œuvre de salut par une vie sainte et pure dans l’Esprit Saint et l’amour trinitaire. Le salut est acquis, à nous de le révéler. Le pardon est donné, à nous de le proclamer. L’amour est partagé, à nous de le dire haut et fort. La Miséricorde divine doit passer par nos vies honnêtes et droites, par notre ouverture et notre engagement.
Être premier en étant dernier : avons-nous besoin de prendre la dernière place ? C’est le Christ qui l’a prise en se faisant « esclave de tous ». En l’imitant, nous montrons que la voie du service est la voie spirituelle pour grandir en humanité et en filiation. Nous devenons alors « ministres (serviteurs) » de nos frères et sœurs. Notre ministère exprime alors l’amour du Père par le Fils dans l’Esprit Saint.
- 3. Conclusion : servir c’est aimer.
Le Christ est venu pour servir et non pour être servi. Sa vie et son œuvre illustrent cette attitude. Cette attitude révèle la vérité de son identité. Par l’identité découverte, nous obtenons le pardon et la possibilité de la communion. Serviteur, il accepte la souffrance pour aller jusqu’au bout de la volonté du Père par l’Esprit Saint.
Le disciple suit le Maître sur la voie du service. Il ne s’agit pas de se renier ni de se dévaloriser ni de s’abaisser. Il s’agit de trouver la voie de la vraie relation, celle du service dans l’amour. Il s’agit de regarder le monde et les autres avec les yeux de Dieu. Il s’agit d’aimer.
Le service nous fait toucher aux racines de l’amour qui est divin. C’est par là qu’on s’introduira progressivement dans le mystère du Dieu Trois fois Saint qui est amour et vérité. La lumière nous envahit et nous éclaire quant à l’amour trinitaire. Servir c’est donc aimer et aimer c’est trouver Dieu.
P. Francis